ABDOUNE
Ali né le 24 Juillet 1936 à SLATNA wilaya de Bordj Bou Arréridj
,s' est enrolé en 1956 au sein de l'ALN. Il a été bléssé une premiere
fois en 1958
à Beni Ouagague, ensuite blessé une seconde fois et pris en
même temps le 6 Octobre 1960 à djebel Mhazem à Taguedite. Il a été
conduit directement au 2ème bureau pour enquête ensuite à l' hopital de
Sour El Ghozlane (Aumale) pour soins. Il a été condamné à 15
ans de prison au tribunal de Damiette (Médéa)
et enfin libéré le
15 avril 1962.
J.M.S. : à
l' évidence le texte est incomplet , j'ai donc recherché et
trouvé la suite sur internet
le voici ci-dessous : et ici sur internet
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C’était, enveloppé dans des guenilles, le corps de la vieille femme que
l’on avait abandonné là. Au matin, le cadavre avait disparu.
Toute
ma vie, je me suis demandé si je n’aurais pas dû accepter d’assister à
la séance. Peut-être la femme aurait-elle eu la vie sauve. Aux
moralistes de trancher. Cette nuit-là, bouleversé, impuissant, je me
fis à moi-même le serment absurde de ne jamais faire de politique. De
la recherche, du syndicalisme, du journalisme, mais pas de politique !
Pour moi, c’était une évidence : les vrais auteurs de ce meurtre, ce
n’étaient pas les bourreaux, c’étaient les hommes politiques qui nous
avaient envoyés là, et notamment Guy Mollet et la SFIO. Depuis, j’ai eu
beaucoup d’amis au Parti socialiste : il faut qu’ils sachent que
jusqu’à mon dernier souffle, je ne serai jamais en paix avec leur parti
ni avec François Mitterrand.
La torture, mais de façon "modérée" et contrôlée.
Mon
troisième contact avec la torture fut moins désespérant. A quelques
mois de là, je fus envoyé, toujours en Kabylie mais sur la côte, dans
une autre unité où je fus chargé de l’encadrement de chefs de villages
ralliés. On était à l’automne 1960 et, à la suite de l’opération
"Jumelles", la Kabylie était beaucoup plus calme. On ne dira jamais
assez que dans la révolte d’une partie des officiers contre de Gaulle,
l’année suivante, il y avait le sentiment qu’on leur avait volé leur
victoire après leur avoir fait pratiquer une guerre sale et
compromettre des milliers de harkis qui le paierait de leur vie. Eux
aussi allaient connaître la torture.
A
l’automne de 1960, il y avait quelques combats, quelques prisonniers
aussi. Le commandant P. qui commandait l’unité où je venais d’être
détaché, était un ancien déporté de Dachau, où il avait connu Edmond
Michelet, auquel il vouait un véritable culte. Cela ne l’empêchait pas
de faire ou de laisser pratiquer la torture mais de façon "modérée" et
contrôlée. Nous en avons parlé des soirées entières, entre deux parties
de tarot dont il était, autant que moi, un passionné. Un soir où nous
avions fait deux prisonniers, je lui demandai : "Naturellement, vous
allez les interroger ? - Il le faut bien... - Croyez-vous qu’Edmond
Michelet approuverait cela ?" Le commandant P. ne me répondit pas mais
changea de visage. Le lendemain, comme je le croisai au mess, il me
jeta négligemment "Vous savez, vos deux fellaghas, on ne leur a rien
fait". Ce fut à mon tour de ne pas répondre. Je n’ai jamais revu le
commandant P., mais je sus que c’était un homme honnête et si, par
hasard, il tombe sur ces lignes et s’y reconnaît, qu’il y trouve aussi
mes amitiés.
Edmond Michelet
est mort en 1970. Après avoir sauvé tant de vies à Dachau, il en avait
sauvé encore comme garde des Sceaux sous de Gaulle. Jean-Marie Domenach
écrivit alors que Michelet était un saint laïque et qu’il fallait le
canoniser. Puisqu’il faut, dit-on, pour cela trois miracles, je lui dis
que j’en avais au moins un à sa disposition...
Tant de choses qu’il faudrait maintenant dire ou raconter
La
vie, alors, tenait à peu de chose et à de grands hasards. Dans cette
même unité, quelque temps avant mon arrivée, s’était déroulée la scène
suivante. Le commandant fait venir un sergent et lui dit : "Prenez huit
hommes avec vous et descendez le prisonnier à la ferme B" (c’était la
base arrière de l’unité).
Le
sergent salue réglementairement et s’en va. Puis revient sur ses pas.
"Mon commandant, non, décidément je ne veux pas faire ce sale boulot. -
Quel sale boulot ? - Eh bien "descendre" un prisonnier ! Vous n’avez
pas le droit de me demander cela ! - Imbécile ! Je ne t’ai pas dit de
le descendre tout court, mais de le descendre à la ferme !"
Celui-là
faillit mourir à cause d’un jeu de mots. Si j’étais romancier, j’en
aurais fait une nouvelle dans le goût du "Mur" de Sartre. Cela prouve
en tout cas que la liquidation des prisonniers, la fameuse "corvée de
bois", était chose assez banale et assez courante pour expliquer la
méprise du sergent.
Je
n’accable pas, on le voit, les militaires, fussent-ils à l’occasion des
tortionnaires. Tous n’étaient pas des barbares. Loin de là. J’ai passé
des nuits à discuter avec des officiers paras, ou des légionnaires. Ils
ne me traitaient pas de "gonzesse" ou de "pédé" parce que je leur
disais réprouver absolument la torture. Beaucoup disaient me comprendre.
Je
ne fais pas le malin. Je ne cherche pas à me donner le beau rôle, loin
de là. Tout cela n’est pas brillant et, comme tous mes camarades, j’ai
pendant quarante ans enfoui mes souvenirs. La torture a ceci de commun
avec le viol qu’elle donne un sentiment de salissure à ceux qui la
subissent ou même à ceux qui la combattent presque autant qu’à ceux qui
la pratiquent.
Tant de choses
qu’il faudrait maintenant dire ou raconter. Les crimes des
nationalistes algériens contre les "colons", contre les Algériens
eux-mêmes, contre les harkis. Ces crimes qui continueront, comme on le
voit aujourd’hui en Algérie, aussi longtemps que le pouvoir algérien ne
les aura pas reconnus. Cela ne suffira peut être pas, mais aussi
longtemps que l’Algérie ne regardera pas en face ses propres crimes,
elle ne connaîtra pas la paix.
Dire la vérité, la vérité politique sur la torture
Je
reviens aux crimes de l’armée française, ceux que nous avons commis.
Directement ou indirectement, ils sont l’oeuvre du pouvoir politique.
La preuve, c’est que le contingent ne se révolta jamais contre la
torture - elle faisait partie à leurs yeux du mandat implicite et
inavouable de la nation - mais qu’il se leva comme un seul homme contre
le putsch des généraux, en 1961. Quand je demandais aux appelés
pourquoi cette différence de comportement, tous me répondaient : dans
le premier cas, on nous fait faire un sale boulot, c’est tout. Dans le
second, on veut nous couper de la nation, de nos parents, de nos amis,
de nos fiancées...
Voilà
pourquoi je ne demande pas le jugement des militaires, même les plus
compromis. Mais je demande fermement et sans hésitation que le pouvoir
politique reconnaisse solennellement que c’est la France qui est
responsable, que c’est elle qui a torturé en Algérie. L’histoire, dit
Renan à propos de la mort de Jésus, a oublié le nom des bourreaux mais
elle a retenu celui du magistrat responsable. C’est de Ponce Pilate
qu’il s’agissait alors. Ici, du pouvoir politique.
Mon
seul souci dans cette affaire est de comprendre comment un peuple
civilisé peut retomber dans la barbarie. Si nous voulons empêcher le
retour de cette honte, il faut la regarder en face. Dire la vérité, la
vérité politique sur la torture. Nous ne voulons pas que les fils
retrouvent l’horreur sur leur chemin et la honte au fond de leur coeur,
tout cela parce que leurs pères ont menti.
Jacques Julliard .