Ce jeudi matin de  Mai 2005, je revois cet homme qui monte à pied, cette route (balisée en rouge,  la flêche indique l'arrêt des camions et le départ du crapahut), je revois ce jour du 20 Aôut 1959 , les camions remontent de la plaine de Birabalou (flèches)  vers le col ,à ce moment les rebelles sont sur notre droite, ils nous dominent, la pente est rude et la progression des  bahuts est lente, je n'ose pas imaginer le désastre si les rebelles nous avaient tendus une embuscade à ce moment là.
 

 

le 20 Aout 1959 Kimono 11 accroche la Katiba 611
 
le 20 Août  1959 (je me souviendrais de cette date toute ma vie) non pas parce que c'est le jour de ma fête, la St Bernard  mais pour ce qui suit..!, nous sommes arrivés ce matin à 6h par la piste du djebel Belgroun qui part de Masqueray pour descendre dans la plaine de Beni Slimane et nous repartons vers 11h45 par l'itinéraire inverse, les bahuts remontent la pente, arrivés au col, le Pitaine donne l'ordre de descendre des camions, le temps est ensoleillé, nous commençons à grimper la pente, le terrain est très boisé et rocailleux, on n'y voit pas à 10m tellement la végétation est dense et remplie de petits chênes verts, on arrête sur la crête pour casser la croûte, il est 12h 15, j'ouvre une boîte de sardines et je tape dans ma demi boule de pain , tout est normal, on plaisante, on se dit que si près de Masqueray, on ne devrait pas tarder à rentrer. Paoli le PC du Bataillon prend position derrière nous et nous repartons en descendant la pente, les sections sont en lignes, les voltigeurs devant.
 
Avec le capitaine nous sommes au milieu du dispositif, les voltigeurs de la 3ème section sont devant nous  , on les voit qui attaquent maintenant une bande de terrain découvert et bientôt pénètrent la deuxième lisière, à cet instant, se déclenche une énorme fusillade, on voit des gars qui tombent, sur le terrain découvert les rebelles montent à l'assaut et tombent à leur tour. Je suis avec le pitaine  à mi-pente, debout, stoïque, il regarde avec ses jumelles, Boisa lui fait remarquer ses 3 barrettes dorées qui brillent sur ses épaules et qui risquent de nous faire allumer, de fait, les balles claquent de toute part, les feuilles des arbres tombent comme ci c'était l'Automne,  maintenant c'est la 3ème section qui avance et repousse les rebelles qui décrochent. On entend en même temps, que cette fusillade infernale, le bruit sourd des grenades, juste à coté de nous, deux gars viennent de s'écrouler, on appelle l'infirmier.
 
Le Capitaine vient de prendre contact avec l'Aviation, nous avançons sur le terrain découvert pour le balisage avec le panneau aviation pendant que les sections descendent d'une cinquantaine de mètres pour assurer leur position, un premier bilan montre que la 3ème section a déjà 7 tués et 8 blessés, nous avons retrouvé 2 gars de la 3ème déshabillés par les Fellagas, ils sont en caleçon, un autre mort aussi n'a plus de pataugas , les voltigeurs nous racontent qu'un de nos tireurs FM s'est fait prendre son arme au début de l'accrochage (la surprise pour nous a été totale), il a une balle dans la cuisse, alors qu'un Fellagas s'apprête à l'égorger, le renfort arrive, il est sauvé par une rafale qui met hors de combat l'agresseur. Un peu plus loin, un Alsacien l'a échappé belle, une balle a traversé de  part en part son béret, l'impact a zébré son crâne, un Breton qui tire sans discontinuer avec son FM collé à la hanche, a le bras brûlé par le canon de son arme chauffée à blanc.

 
 

Sur la carte de G.Epinat (suivant les flêches). Les camions s'arrêtent au col, à cet endroit le terrain est plat et dégagé, ordre est donné de descendre des camions et de se diriger vers le piton côte 1063. le côté opposé sera une descente aux enfer.
 

 

Un autre gars de la 3ème est tombé blessé au thorax au milieu des rebelles,  un Fellagas lui applique le canon de son arme sur la tête pour l'achever mais le harki dans un geste de survie se détourne et prend la balle dans l'épaule, un autre à le crâne décalotté, la cervelle coule sur son sac, la scène  est apocalyptique, les morts de chez nous sont mélangés avec les rebelles tués et nous agissons comme des automates, je ne ressens plus aucune sensibilité si ce n'est qu'un esprit de vengeance et de survie , on entend des blessés qui gémissent, quelques coups de feux puis plus rien... Je regarde ma montre il est 13h30, c'est bête et je sais pas pourquoi mais je pense 1 seconde à mon père qui à cette heure là, reprend tranquillement son travail à la SFR Societé Francaise de  Radio (qui deviendra Thomson CSF puis Thalès).   
 
Maintenant, l'Aviation tourne au dessus de nous, le Pitaine demande aux sections de remonter avant que l'Aviation n'intervienne, le Piper a bien repéré le panneau Aviation et c'est lui qui va diriger le tir des 2 Avions T6 qui effectuent un premier passage au raz de nos têtes puis remontent dans le ciel tout bleu pour en amorcer un 2ème, cette fois les mitrailleuses entrent en action dans un bruit d'enfer, ils tirent à 80m devant nous, les douillent des 12/7 nous tombent sur la tête. Les Avions ont maintenant changé d'angle de tir et Strafe dans le fond de l'oued, c'est le seul chemin de repli possible pour les rebelles.
 
Le Capitaine Dup... qui l'a bien compris demande par Radio au général B.... l'autorisation de bombarder l'oued au Napalm, après une courte discussion, je comprends que c'est négatif alors le Pitaine sort de ses gonds et lance "c'est bien un régiment de cons commandé par un con" (la raison de son refus paraît-il était d'éviter de mettre le feux à la forêt de chênes verts) entre temps, j'aperçois mon copain Johnny toujours à la pointe du combat qui s'éloigne en fouillant les buissons avec son Poste Radio sur le dos et son 9mm  à la main, un pistolet qui a l'air d'un jouet ridicule dans les circonstances actuelles. Je m'avance pour le chercher, les buissons sont très serrés, on voit l'antenne qui dépasse de 2m au dessus des feuillus "eh! ... Johnny revient, ça va pas! tu vois pas qu'avec ton antenne tu es la cible idéale..." je ne croyais pas si bien dire, (quelques semaines  plus tard alors que je me rendais au 2ème Bureau, je rencontre un musulman très sympa avec lequel je discute, au bout d'un moment il me dit "Mais on s'est déjà vu...!" je le regarde et répond "Je ne pense pas" "Mais si, tu étais à l'accrochage de la Katiba 611 avec un autre gars qui avait aussi un poste sur le dos ",  intrigué je réponds "oui...? " "Et bien, ce jour là, vous êtes passés à quelques mètres de moi, j'étais tapis dans un buisson blessé aux 2 jambes, je t'ai reconnu à cause du poste, j'ai été fait prisonnier par la suite." en une seconde ma mémoire fait un retour en arrière, je me revois avec Johnny, instinctivement je lui demande, "Tu avais quoi comme arme? "  je réprime un petit frisson dans le dos quand il me répond " un PM40" (un pistolet mitrailleur Allemand), nous avons bien fait d'éviter de nous rencontrer ce jour-là, sinon nous ne serions pas devenu amis..!)

 
 
En Algérie, l'activité du T6 a été consacrée à des missions de surveillance de convoi et d'Appui feu.
 Il était  armé de mitrailleuses, bombes, roquettes, et pendant le conflit algérien, de bidons de napalm .
Le Pistolet Mitrailleur Allemand PM40 calibre 9 mm
 
Une Arme redoutable avec un chargeur
pouvant être approvisionné de 30 à 34 balles
 

Les morts et les blessés de chez nous sont évacués. Comme le Général ne veut pas faire "Napalmer" le fond de l'oued,  le Pitaine  ordonne aux sections de descendre, on entend les cliquetis des culasses, avec Johnny, on engage une balle dans le canon, le Pitaine à sa carabine US à la main, nous ne sommes plus que 2 sections, la 1ère et la 2ème, la 3ème est hors de combat à 80%.
 
Avec la 1ère section, nous sommes sur le flan de l'oued, la 2ème est dans le fond, c'est un oued très encaissé, quelques buissons et lauriers roses mais beaucoup de rocailles et de rochers, les rebelles se replient en tirant avantagés par le terrain. Sur l'autre flan de l'oued, nous rejoignons une compagnie du 17ème bataillon de tirailleurs Algériens d'Ain Bessem, les  Grenadiers voltigeurs de la 2ème sont devant et avancent à la grenade et à coup de mitraillette, les rebelles sont dans un cul de sac, derrière eux, le terrain maintenant est découvert. Ils se sont retranchés derrière de gros rochers, les gars de la 2ème section avancent toujours, on entend le "bloum..." sourd de l'explosion des grenades, enfin la fusillade se calme, on dénombre 2 morts chez nous et 3 blessés, chez les rebelles 11 morts et 2 blessés, on rejoint le terrain découvert où des Hélicos Alouette évacuent nos morts et blessés, il est 18h30, on reçoit l'ordre de décrocher, on fouille les buissons en remontant, la 1ère section met encore 2 rebelles hors de combat, on récupère les armes, on arrive enfin sur la crête ou est Paoli, on reçoit des appels Radio, des messages de  félicitations pour le Pitaine, moi je pense à ceux qui  sont morts... pour quoi et pour qui..? Nom de Dieu ..!

 
 
NHAI, le commandant de la Katiba 611 prisonnier et blessé
 à l'Hopital d'Aumale
le Chef de Kimono 11 en conversation avec le Chef de la Katiba 611
 

Ce soir, nous nous sommes repliés avec Paoli (indicatif du Bataillon) sur la crête au dessus du col, le ciel est clair et la température agréable,  on aperçoit en direction de Stephane gsell de la fumée, les T6 ont tiré des Rockets, j'ai l'impression que les chênes verts chers au Général sont en train de cramer. Je suis de garde de 1h à 3h, des Avions tournent toujours dans le ciel et larguent des Lucioles (fusées éclairantes). Ce matin, on se regroupe à 6h, on repart sur les crêtes en direction de Stéphane Gs'ell, c'est un terrain découvert, on arrive sur une Déchera, j'ai soif ... une fois de plus je m'en suit tiré , Je vide ma gourde et je me dis que c'était peut être de l'eau bénite..!

 
 

L'Armement de la Katiba 611 est exposé sur la Place d'Aumale, au fond : l'ex Salle des Fêtes

 


Origine de cette image inconnue